Par Ian Taylor, B.Sc.
Pratiquement la première question qui vient à l’esprit lorsqu’on est confronté à un artefact du lointain passé, c’est : Quel âge a-t-il ? Nous sommes habitués à penser de cette façon aujourd’hui, mais ça n’a pas toujours été le cas, et il y a une bonne raison de suggérer que la question d’âge en est une que nous avons été conditionnés à demander. Une partie de ce conditionnement se retrouve dans les notices annexées aux présentations de musées et dans les pages de magazines populaires tels que National Geographic et Time. Qu’il s’agisse de la découverte d’une étoile ou de quelque nouveau fossile, ces publications humanistes ne manquent jamais de souligner l’âge qui se situe toujours dans les millions d’années. Parfois les chiffres sont donnés avec des écarts en plus ou moins, ce qui confère aux données la teinte d’authenticité. Pour un instant, nous pourrions même faire des efforts pour ajuster les chiffres présentés dans un cadre de temps de 4,5 milliards d’années, ce qui, nous dit-on, est l’âge de la planète terre, mais notre compréhension de ce qu’est un milliard d’années est vague au possible.
Le lecteur peut trouver consolation dans le fait qu’il est tout à fait normal d’être intimidé par ces multi-millions d’années et de ne pas être capable de saisir leur pleine signification. Sous ce rapport, les scientifiques sont peu différents du reste de nous. Cette incompréhensibilité des grands nombres est une partie vitale de la foi sur laquelle repose la théorie de l’évolution. Ce fut l’expansion philosophique du cadre du temps passé par Charles Lyell au début des années 1800 qui a fournit les incompréhensibles éons de temps et pavé la voie à Darwin. L’orgueil de l’homme est un puissant empêchement à admettre que ces grands nombres sont hors de compréhension et ainsi les chiffres devinrent établis même dans la communauté scientifique. Pour comprendre comment cette méthode très subtile de détruire la foi chrétienne fut introduite, il nous faut aller en Angleterre, à la fin des années dix-sept cents.
Certaines portions des Écritures, particulièrement celles qui ont trait à la création et au déluge de la Genèse, ne sont pas élaborées dans les détails comme nous l’aimerions et les théologiens du jour se sont livrés à une certaine masse de spéculation. Ce fut malheureux parce que cela tendit à devenir dogme et désenchanta rapidement les membres pensant de la communauté chrétienne. L’un des sujets les moins spéculatifs à devenir dogme fut la date de la création ou ce qui en était dérivé, l’âge de la terre. Des érudits, tels l’évêque James Ussher et l’astronome Johannes Kepler, travaillant indépendamment d’après les chronologies bibliques, ont conclu que la terre fut créée il y a environ 6000 ans. La date de la création de 4004 ans avant Jésus Christ avancée par Ussher devint dogme de l’Église. Au début des années 18000, il était à la mode de collectionner les roches et d’admirer les fossiles qu’on y trouvait souvent. Il n’était pas question de demander l’âge, chacun savait que les fossiles étaient les vestiges de créatures qui s’étaient noyées lors du déluge. L’âge pouvait être déduit de la date inscrite dans la marge de la bible près du chapitre 7 du Livre de la Genèse. La géologie n’était pas encore une science mais un hobby, et la découverte d’un fossile était une façon tangible de toucher l’évidence du grand déluge judiciaire de Dieu. Cependant, comme on en vint à en connaître davantage sur la distribution des fossiles, il devint de plus en plus difficile d’expliquer tous les fossiles comme le résultat d’un seul déluge universel.
On observait communément que les créatures apparaissaient soudainement dans la strate rocheuse sous une forme perfectionnée et qu’un peu plus haut elles cessaient tout aussi soudainement d’apparaître. Le problème était qu’à un niveau supérieur, vu rationnellement comme correspondant à une période de temps plus récente, les mêmes créatures réapparaissaient souvent puis disparaissaient de nouveau. Le paléontologiste français Georges Cuvier a proposé qu’il y avait eu une série de déluges au cours desquels la création était détruite et plus tard recréée. La Bible ne parlait ainsi que du dernier déluge puisqu’il avait impliqué l’homme, tandis qu’il n’était pas nécessaire cette fois que Dieu recréât puisqu’un résidu avait été sauvé par Noé dans l’arche. Les théologiens anglais pensèrent que c’était là une brillante solution. Cette idée devint dogme et elle fut enseignée à Lyell à Oxford et à Charles Darwin à Cambridge. La majorité de ces géologues du début croyaient que les strates rocheuses avaient toutes été déposées comme sédiment à partir de l’eau de mer ; c’était des Neptunistes adoubés qui devinrent plus tard les Catastrophistes. Cependant, la crédulité fut tamisée par le modèle “déluge/création” de Cuvier lorsqu’on découvrit que dans le bassin parisien, par exemple, Dieu avait détruit et recréé 27 fois avant de réussir finalement à le rétablir correctement à la vingt-huitième !
L’Université d’Édimbourg n’était pas sous l’œil vigilant de l’Église et elle a produit plusieurs hommes brillants, dont James Hutton qui a fondé l’école Vulcaniste. Ce groupe de minorité soutenait que les volcans avaient été responsables de la plupart des formations rocheuses. Toutefois, les volcans avaient fait éruption à peu près au rythme actuel et cela signifiait qu’une étendue de temps beaucoup plus grande que 6000 ans fut requise. James Hutton fut de ce fait censuré par la Irish Academy, orientée par l’Église, pour avoir suggéré que la terre était plus âgée que 6000 ans, il mourut sous la réprobation d’athéisme en 1797. Charles Lyell est né l’année de la mort de Hutton et il a vécu pour porter avec plus de succès la bannière “Volcan” modifiée. La partie-clé de ce que disait Hutton était que les “volcans avaient fait éruption à peu près à leur rythme présent”, en d’autres mots, ce que nous voyons se produire aujourd’hui est la clé de ce qui s’est produit dans le passé. La doctrine devint connue comme “uniformitarisme” et ne permettait qu’aucun événement inhabituel, qu’aucune catastrophe universelle, ne se soit produit au cours de l’histoire de la terre. Lyell vit que les vagues de la mer érodaient graduellement les falaises et que les sédiments s’accumulaient dans les estuaires des rivières, etc. Sur une période de temps suffisamment longue, ce qui apparaît comme l’évidence d’une catastrophe dans la strate rocheuse pouvait alors effectivement être le résultat de processus naturels que nous voyons se poursuivre aujourd’hui. Cependant, cette nouvelle doctrine nécessitait de vastes étendues de temps et dans le climat intellectuel de ce temps, ce serait une idée difficile à introduire.
Les lignes de bataille de l’époque 1810-30 furent ainsi tracées entre la majorité qui étaient catastrophistes et croyaient que le déluge était responsable de la plupart des formations de roches et de terre, et un petit nombre d’uniformitaristes qui prétendaient qu’il n’y avait pas eu de catastrophes pan-terrestres, à peine plusieurs événements locaux sur une vaste période de temps. Les théologiens purent immédiatement voir que le raisonnement uniformitariste limitait le déluge de la Genèse à un événement local. Se trouvaient ainsi niés le jugement et le but de l’arche.
En 1807, un petit groupe d’hommes sous la direction de George Scrope, et qui favorisaient la vue vulcaniste de Hutton de l’histoire géologique, formèrent à Londres la Société géologique. Leur but était de promouvoir les idées de Hutton et en même temps d’éliminer de la compréhension de l’histoire de la terre toute trace de métaphysique, i.e. d’intervention surnaturelle par la Déité. Cela prit un certain temps avant que ces objectifs ne se réalisent, mais les choses commencèrent à se produire en 1823 lorsque le jeune avocat Charles Lyell se joignit au groupe en tant que secrétaire de la société géologique. Formé dans la discipline de la logique, Lyell avait comme hobby la géologie et comme bannière le principe d’uniformitarisme de Hutton. Où qu’il regardait, il pouvait voir les résultats de changements lents et graduels, mais cette perception était davantage dans l’œil du spectateur que dans la réalité.
Lyell se mit à écrire un livre et vers la fin de l’année 1827, il avait terminé son manuscrit intitulé Principes de géologie et le transmit à l’éditeur. Le livre ne fut publié qu’en 1830 cependant ; ce fut le premier de trois, les autres paraissant en 1832 et 1833 respectivement. Les années d’intervalle avaient été passées à parcourir l’Europe en compagnie du président de la Société, Roderick Impey Murchison, à la cueillette de données pour supporter les Principes. Difficilement la méthode scientifique. Le résultat fut un massif compendium, en trois volumes, d’évidences à l’appui d’actions lentes et graduelles de la nature. L’ouvrage fut rapidement un succès. De fait, les Principes de géologie de Lyell devinrent l’ouvrage standard pour les cinquante années qui suivirent et se rendirent à une douzième édition. Inutile à dire, l’oeuvre entière tut toute catastrophe et tendit à ne choisir que les exemples qui permettaient l’argument uniformiste.
C’est peut-être plus qu’une simple coïncidence que la plus gigantesque explosion volcanique de l’histoire consignée survint en 1815 lorsque Lyell était à l’âge impressionnable de 18 ans. L’événement eut lieu à Sumbawa, près de Java, et les effets se firent sentir à l’échelle du globe, alors que la faillite des récoltes de l’année suivante causa la famine générale en Irlande et en Suisse (Stomme 1983). Lyell mentionna cet événement dans les Principes, mais manqua à mentionner ses effets pan-terrestres (Lyell 1830. 1 : 403). Les géologues concèdent aujourd’hui que Lyell avait été trop extrémiste dans son argument et admettent qu’il y a eu dans le passé des catastrophes ébranlant la terre, mais ils ne reconnaissent pas, jusqu’ici, le déluge de la Genèse.
La stratégie des Principes avait été d’étendre le cadre de temps du passé par un net renversement de la logique des catastrophistes. Ces derniers avaient envisagé la nature comme “parcimonieuse de temps et prodigue de violence” (Lyell 1830. 1 :88), mais elle était prodigue de violence parce qu’elle était parcimonieuse de temps. En d’autres mots, tant que la terre n’était âgée que de quelques milliers d’années, l’intervention surnaturelle était nécessaire pour expliquer les grands changements qui s’étaient produits. Lyell renversa cela en : La nature fut parcimonieuse de violence parce qu’elle était prodigue de temps. En d’autres mots, avec des millions d’années disponibles pour l’histoire de la terre, aucune intervention surnaturelle n’était nécessaire. Plus que cela, l’extension du cadre de temps du passé fournissait une prédisposition en faveur du naturalisme.
La revendication du naturalisme est que rien ne soit admis en science qui implique une brèche dans l’ordre naturel. Il n’y a rien de mauvais à cela, mais Lyell fit un pas de plus et soutint qu’on ne devait rien supposer avoir eu lieu dans le passé qui ne se présente pas dans le présent. C’est une chose totalement différent, et la grande explosion de Sumbawa de 1815 se dressait comme une réfutation éclatante de son argument. Plus subtile toutefois fut que l’utilisation par Lyell du naturalisme l’identifia irrévocablement avec le gradualisme. Le gradualisme est le concept que les changements ont lieu très lentement et dans une direction. Logiquement, ces deux concepts sont indépendants, mais psychologiquement ils furent intimement reliés et constituèrent un parfait fondement pour l’évolution biologique de Charles Darwin 30 ans plus tard.
En lisant les journaux personnels d’hommes tels que Lyell et Murchison, on peut y détecter un air sous-jacent de conspiration (Geike 1875. 1 : 121). Lyell devint éventuellement président de la Société géologique et il y a ample évidence que la géologie britannique fut “orchestrée” par Lyell tout comme la biologie britannique fut “gouvernée” par le Club-X de Thomas Huxley dans la seconde moitié du même siècle (Irvine 1955. 236).
“L’orchestration” se fit à trois niveaux :
Suppression de l’évidence contraire au dogme de l’uniformitarisme. Des livres disparurent en douce des rayons des bibliothèques. Un exemple de ceci fut le livre de sir Henry Howorth, The Mammoth and the Flood (1887), qui était une collection massive de l’évidence d’une catastrophe glaciaire dans le grand Nord réfutant la géologie de Lyell. Les catastrophistes découvrirent que les portes de publication étaient lentement mais résolument fermées à leurs écrits, tout comme elles le sont encore aujourd’hui.
Réinterprétation de l’évidence des catastrophistes en termes de processus lents et graduels, et publication comme écrits scientifiques. Ainsi, il n’y eut aucune confrontation directe, mais une érosion silencieuse par le moyen honoré par le temps qui consiste à planter d’abord les germes du doute dans l’esprit de l’adversaire.
Publication de fausses données. Un exemple éclatant fut l’âge des Chutes du Niagara donné par Lyell. Il demanda à une personne résidant dans la localité depuis quarante années de combien les chutes retraitaient à chaque année. Il lui fut dit “environ une verge”, mais Lyell crut qu’un pied serait une meilleure estimation. Le résultat fut qu’avec une gorge de 35 000 pieds de longueur, l’âge des chutes fut publié comme étant de 35 000 ans (Lyell 1867. 1 : 361). La date de Ussher de 4004 ans avant Jésus Christ pour la création fut alors sérieusement mise en doute. Depuis la visite de Lyell en 1841, les mesures ont montré que les chutes retraitent de 4 à 5 pieds par année, ce qui réduit l’âge à 7-8000 ans, et constitue une proche confirmation plutôt qu’une réfutation du registre biblique.
Et c’est ainsi que les millions d’années furent introduits et demeurent pour instiller un sens de crainte et désarmer de raison les irréfléchis ; c’est le piquet auquel s’accroche l’évolution.
La stratégie de Lyell n’était rien de moins que brillante et trompa très effectivement l’Église. À partir de 1830, les théologiens commencèrent à pencher vers le gradualisme et de grands hommes d’Église, tels le révérend Charles Kingsley, capitulèrent sans geignement devant Darwin. Cependant, la même stratégie peut être utilisée aujourd’hui pour renverser le processus. En amenant devant le public l’évidence d’une terre jeune, les germes du doute peuvent tout aussi efficacement être plantés dans la foi évolutionniste. Une fois le doute établi, c’est alors le temps propice pour apporter le message de l’Évangile.
RÉFÉRENCES
Geikie, Archibald. 1875. Life of Sir Roderick Impey Murchison. 2 vols. London : John Murray.
Irvine, William. 1955. Apes, Angels and Victorians. London : McGraw-Hill.
Lyell, Charles. 1830 (10e 1867). The Principles of Geology. 3 vols. London : John Murray.
Stommel, Henry et Elizabeth. 1983. Volcano Weather. New Port, R.I. : Seven Seas Press.
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